Annonce d’une tumeur cérébrale chez l’adulte

Enjeux éthiques de l’annonce et éthique

L’annonce d’une maladie grave, ici d’une tumeur cérébrale, est à la fois une épreuve pour le malade et un défi pour le médecin (53), mais aussi une de ses missions essentielles. L’annonce initiale de la maladie est inaugurale et fondatrice de la relation médecin-malade appelée à se développer au fur et à mesure de la prise en charge de la personne malade dans la durée. L’évolution d’une maladie grave, notamment le cancer, est émaillée d’annonces parfois répétées de complications de la maladie ou d’effets secondaires des traitements, de récidive(s), voire pour finir de l’échec thérapeutique. L’annonce engage aussi la relation soignants-soigné de par l’implication de l’infirmier(e) dans le dispositif d’annonce du cancer. Les réactions provoquées par ces annonces ont été décrites avec une grande acuité psychologique, « sémiologique », par un médecin cancérologue elle-même atteinte d’un cancer, analysant en détail son ressenti (15).
Portant sur « ce que nul ne veut apprendre ni approcher », l’annonce d’un cancer représente un « modèle de communication impossible » (9). Elle comporte une dimension et des enjeux éthiques en raison de sa nature même et des difficultés et tensions qui l’habitent.
Pour le patient, et sa famille, l’annonce constitue un véritable trauma, avec son cortège de représentations et de symbolisations, bouleversant ses repères antérieurs. Le fait qu’elle concerne le cerveau ajoute à son retentissement. Elle engendre une angoisse de mort qui sidère et des angoisses massives qui débordent les capacités psychiques, cause d’une véritable détresse liée à cette crise existentielle (43). La personne malade est exposée dans toute sa vulnérabilité existentielle, allant bien au-delà de la fragilité physique, source de blessure psychique ouverte (11).
Pour le médecin, l’annonce est le temps majeur de l’information, obligation légale soulevant un dilemme éthique, en même temps que moment délicat, parfois source d’angoisse pour lui. Le droit à l’information du patient impose au médecin d’informer celui-ci du diagnostic, du pronostic et des traitements envisagés avec leurs éventuelles complications. Le but est certes d’informer, mais aussi de (tenter de) rassurer et de montrer l’espoir existant (variant selon la situation), de répondre aux questions et de recueillir le consentement « libre et éclairé » du patient. Mais le médecin est également soumis au devoir de ne pas nuire, principe éthique fondamental « primum non nocere » , ce qui peut être la conséquence d’une information non entendable par le patient. Au-delà des certitudes statistiques, le médecin est face à la complexité plus ou moins importante de la situation, parfois l’impuissance, et le malade est face à l’incertitude de son propre avenir, voire sa finitude proche. Le médecin se trouve ainsi confronté à la double tentation du paternalisme médical classique, ne rien dire pour ne pas nuire, et du protectionnisme juridique, tout dire pour se protéger (9).
Enfin, la consultation infirmière du dispositif d’annonce est chargée de l’émotion provoquée par le fait de revenir sur celle-ci et ses conséquences en même temps que les espoirs et les craintes induits par la perspective du traitement. Mais elle est aussi marquée par l’interrogation portant sur ce qu’a pu entendre le patient.
Le dispositif d’annonce du cancer, tel qu’il résulte de l’application de la mesure 40 du plan Cancer 2003-2007, n’a pas résolu (et ne peut résoudre) la question fondamentale posée au médecin. Comment dire en prenant soin de ce patient ? L’obligation légale d’information a créé un droit pour le patient et ce dispositif est certes à même d’y satisfaire. Mais il porte en lui-même un enjeu éthique dans la mesure où il comporte le risque de standardisation, de pratiques protocolisées et normatives et d’attitudes inadaptées, sources d’interrogations et de contradictions douloureuses pour les patients et les professionnels (43). Le dispositif constitue au mieux un cadre logistique ou organisationnel. Mais il reste à construire une relation, par définition unique car répondant à la singularité humaine de chaque situation. Celle-ci ne peut se résumer à la délivrance d’une information qui se cantonnerait dans le seul registre de l’objectivité, laissant peu de place à l’expression de la subjectivité de l’autre. Cette information se situerait alors dans l’illusion de l’objectivité et dans une certaine défiance à l’égard de la relation médecin-malade, cherchant à éviter la difficulté de la rencontre, à remplacer la relation singulière par une consultation d’équipe « normalisée » (9). Croire que « tout dire » peut satisfaire les besoins et les revendications relève d’une illusion car l’annonce ne tient pas compte du refus d’affronter la réalité de sa propre mortalité. L’information en tant que telle n’est donc pas la véritable attente de cette personne que le mot même de cancer fait basculer dans un autre monde.

La dimension éthique de l’annonce réside dans le fait qu’elle est un acte de soin. Or tout soin se donne dans le cadre d’une relation. Cette dernière récuse par essence toute standardisation de l’annonce elle-même (et non du dispositif), sauf à déshumaniser d’emblée la relation derrière son aspect performatif. Le médecin est donc interpellé par la nécessité de concilier les impératifs précis du dispositif réglementaire d’annonce, devoir déontologique, et l’intimité non reproductible d’une relation unique car singulière, exigence éthique. En outre, il n’y a pas de « bonne façon » d’annoncer un cancer ou une maladie grave. L’annonce est alors à considérer comme « un processus plutôt que comme un moment » dont le souci éthique est « de l’ordre du bien dire » (59). La part d’humanité et de sollicitude qu’elle implique est seule à même de recevoir le désarroi de l’autre, de l’aider dès la première étape de l’annonce du mot cancer et de lui offrir un cadre rassurant, pérenne, ouvert à l’expression de son émotion et de ses doutes. La nécessité de réintégrer dans la pratique la dimension humaine du drame, l’expérience subjective de la maladie, apparaît pleinement afin de reconnaitre le malade dans ce qu’il vit et est. Cette attitude vise à « la restitution de l’autonomie morale du patient », « obligation éthique du médecin » in fine (in (11)).
Par ailleurs, l’annonce implique, sur le plan éthique, un engagement du médecin, mais aussi de tous les soignants, dans l’accompagnement de la personne malade dans la durée, jusqu’au terme de son histoire de maladie et de vie. Cet engagement, qualifié de devoir de non abandon par E. Hirsch (29), est fondateur pour le patient et sa famille de la confiance indispensable pour vivre l’épreuve de sa maladie avec l’aide attentive du médecin et des autres soignants.

Moment privilégié de cette relation appelée à durer, l’annonce est aussi le moment où le médecin se retrouve confronté à lui-même dans cette difficulté de dire des choses que le patient ne veut pas entendre et qui le mettent aussi à l’épreuve, d’autant que leur répétition constitue son quotidien professionnel. Il importe de ne pas ignorer ces difficultés et les mécanismes de défense mis en place par chacun, fondés sur ses propres expériences, souvent douloureuses, qui sont habituellement tues, notamment par les médecins.
Un autre enjeu éthique de l’annonce réside dans la nécessité d’une formation spécifique des médecins et des soignants à la relation. Non pas une nouvelle formation technique sur les contours médico-légaux de ce qu’il faut dire, mais une formation humaine sur l’écoute attentive de la singularité de l’autre. Non pas pour mieux expliquer le diagnostic mais pour que chaque patient puisse entendre, recevoir et vivre au mieux avec ce que l’on doit lui dire. Il y a là une exigence éthique tant les mots et les attitudes peuvent être source de malfaisance, au nom du respect des principes de bienfaisance et de non malfaisance. Force est de constater que cet aspect de la formation reste bien négligé, en tout cas peu prioritaire dans la formation initiale et permanente, malgré les attentes des patients et l’importance des enjeux.

Quoi qu’il en soit, l’annonce d’une maladie grave, d’un cancer, particulièrement du cerveau du fait de sa symbolique, sera toujours un évènement profondément déstabilisant pour le patient et sa famille, le mot cancer marquant un changement radical dans la vie de celui qui le reçoit. Il appartient au médecin de concilier ses devoirs d’information et de non malfaisance pour faire de l’annonce un engagement. Engagement, dans le cadre d’une éthique de la sollicitude authentique, à l’ouverture d’un espace de parole au patient, à la promesse d’une relation évolutive co-construite avec lui, à une attitude de soutien et à un accompagnement pérennes pour humaniser cet instant tragique où toute une vie bascule.