Cartographie cérébrale fonctionnelle par stimulation électrique directe cortico-sous-corticale per-opératoire

, par  Hugues DUFFAU, Illyess ZEMMOURA , popularité : 5%

Résumé

La stimulation électrique directe est aujourd’hui l’outil de référence pour réaliser la cartographie cérébrale fonctionnelle, notamment en chirurgie éveillée en zone éloquente. Dans ce chapitre, l’intérêt, les indications, et les limites de cette technique sont discutés au regard des connaissances neuro-anatomiques fonctionnelles et neuro-physiologiques actuelles.
La principale indication de la stimulation électrique directe est la chirurgie éveillée des gliomes de bas grade mais son utilisation peut également être discutée pour la chirurgie des gliomes malins, de l’épilepsie et pour d’autres types de lésions tumorales. Les écueils de la technique, les risques de faux négatifs et de faux positifs sont exposés.

I. Introduction

La stimulation électrique directe (SED) est considérée aujourd’hui comme l’outil "gold-standard" pour cartographier les fonctions cérébrales. En effet, malgré les développements récents de la neuroimagerie fonctionnelle, l’exploration du cortex en IRM fonctionnelle (IRMf) ou des faisceaux de substance blanche en tractographie IRM n’est pas sufisamment précise pour être directement applicable chez un individu donné, notamment en neurochirurgie. L’IRMf manque de reproductibilité chez les volontaires sains (15) et n’est qu’imparfaitement corrélée aux constatations faites par stimulation corticale directe chez les patients porteurs de lésions cérébrales (29). L’exploration des faisceaux de fibres blanches en IRM de tractographie souffre de nombreuses limitations liées au principe même de la méthode qui n’est qu’une représentation très indirecte de l’anatomie morphologique de la substance blanche basée sur les propriétés de diffusion des molécules d’eau dans les tissus biologiques (22). La tractographie d’un même faisceau chez un même individu est donc très variable selon la méthode d’acquisition IRM et l’algorithme mathématique de reconstruction utilisés (20). Par ailleurs, la modification des propriétés de diffusion des molécules d’eau en présence d’une lésion cérébrale n’est pas encore parfaitement comprise et ses effets sur la tractographie ne sont pas négligeables. Cette technique demande donc encore à être validée avant d’être utilisée en routine clinique. Enfin, elle ne permet généralement pas d’explorer l’anatomie fonctionnelle, même si des modifications de la substance blanche ont pu être mises en évidence en imagerie de diffusion lors de la réalistion de tâches cognitives, faisant suspecter le rôle des fibres blanches dans la plasticité cérébrale à court terme (16, 32).

La SED est donc aujourd’hui l’outil de référence pour la pratique de la neurochirurgie oncologique fonctionnelle, notamment en condition éveillée (31). Son utilisation per-opératoire est devenue incontournable, spécialement pour la chirurgie des gliomes de bas grade. Elle a conduit à améliorer grandement le pronostic oncologique en autorisant l’exérèse de lésions en régions réputées autrefois inopérables, tout en améliorant la qualité de vie des malades en réduisant significativement les risques de déficit neurologique post-opératoire permanent (2, 9). Ainsi, dans une méta-analyse récente portant sur plus de 8000 patients porteurs d’un gliome diffus de bas grade, il a été montré que la cartographie fonctionnelle per-opératoire a permis d’obtenir un taux de déficit neurologique post-opératoire permanent de 3,4% contre 8,2% sans cartographie, ainsi qu’un taux d’exérèse complète à l’IRM de 75% contre 58% sans cartographie (2).
L’objectif de ce chapitre est de décrire les principes d’utilisation de la stimulation électrique directe per-opératoire, en insistant sur les règles techniques, notamment en chirurgie éveillée des gliomes, pour limiter les écueils inhérents à cet outil.

II. Historique (description princeps et évolutions ultérieures)

La technique de SED corticale a été développée par Penfield en 1937 pour préserver les régions cérébrales fonctionnelles éloquentes lors de la chirurgie de l’épilepsie (27). La procédure a ensuite été reprise et améliorée dans ses détails techniques par Ojemann au cours des années 1970 (35).
MS Berger fut le premier à utiliser la SED en neurochirurgie oncologique durant les années 90 (1) puis H Duffau au début des années 2000 a proposé d’étendre l’utilisation de la SED à l’exploration de la substance blanche sous-corticale pour préserver les faisceaux de connexion (8). Depuis, cette technique s’est largement diffusée et a permis de modifier radicalement la prise en charge thérapeutique et le pronostic des gliomes de bas grade (2).